L’importance de creuser le besoin sur les projets complexes

L’actualité nous amène à assister à des débats riches où les lignes individuelles bougent et à des débats stériles où chacun défend sa solution sans réelle interaction avec les autres. Quel est l’instant où tout se joue pour déclencher une réflexion collective fructueuse ?  Cette question est cruciale pour les projets complexes dont la réussite repose sur la capacité à faire collaborer des acteurs divers aux intérêts divergents.

Quand le diagnostic devient percutant !

En matière de coopération, le développement local des territoires n’est pas toujours une mince affaire. Prenons l’exemple d’un projet environnemental au sein d’une collectivité, où il est question de mettre en place une plateforme territoriale de transition. Comme pour chaque territoire, ce dernier possède des spécificités bien précises qu’il ne faudra pas exclure. Aussi toute la réussite de la démarche tiendra de la qualité du diagnostic sur les besoins de coopérations entre toutes les parties prenantes (entreprises, chercheurs, acteurs publics, association, citoyens, financeurs, …).

Un vrai challenge quand on y pense ! En effet, « naturellement » les acteurs interviewés mentionnent des mécanismes qui ne fonctionnent pas  (ex : « il faudrait qu’on soit dans la boucle beaucoup plus tôt ») ou demandent des solutions préétablies (ex : « il faudrait une réunion mensuelle où tous les porteurs de projet affichent leur besoin de financement »). Si l’on se contente de recueillir toutes ces demandes, on aboutit à un patchwork de bribes de solutions sans réelle cohérence et à une vision du problème à résoudre finalement assez floue. 

Pour éviter cet écueil, dans ce cas précis, c’est une véritable capture des besoins qui a été mise en place. Le questionnement, la posture, la précision des besoins et la synthèse ont été scrupuleusement travaillés. 30 interviews ont donc été réalisés avec cette attention portée sur l’expression précise des attentes (au-delà de ce qui ne marche pas et des idées de solutions) et ont permis la co-construction d’une véritable analyse des enjeux de coopération spécifique au territoire, fidèle au terrain et précise sans être trop détaillée.

Résultat : un diagnostic percutant, pas tarte à la crème et surtout, des acteurs plus motivés que jamais ! D’où la nécessité, sur tout projet complexe, dans les territoires comme dans les entreprises, de porter une attention bien particulière au moment où le problème est posé. Au risque sinon de passer à côté des enjeux. Plusieurs pièges doivent cependant être évités pour que la capture des besoins soit un succès.

Solution ou rêve, quand tu nous tiens !

Premier écueil : rester bloqué sur une solution. Penser d’abord besoin avant solution n’est pas une tâche aisée, en premier lieu lorsque  le nom du projet porte déjà une solution (ce qui est très fréquent). Exemple dans l’aménagement du territoire : « nouveau franchissement de fleuve à tel endroit ». Dans ce secteur, beaucoup de « projets » ont déjà été étudiés, au sens où des simulations ont déjà été réalisées pour étudier l’impact de telle ou telle nouvelle infrastructure sur le trafic par exemple. Dans le raisonnement, nous partons d’une solution et nous étudions son impact. La question du « pour qui », « pour quoi » apparaît plus tard, au moment où nous devons décider de poursuivre ou non le projet alors que les résultats sont mitigés. Dans une telle situation, les débats deviennent vite houleux car les acteurs ne se sont pas mis d’accord en amont sur les objectifs du projet : quel trafic voulons-nous fluidifier en priorité ? pour quels usagers ? à quelle heure ? quel champ de contraintes nous donnons-nous en termes de budget ? en termes d’impact environnemental ? Dans ce contexte, faire une véritable capture des besoins en amont peut aboutir à l’arrêt du projet au sens où la solution dont le projet porte le nom peut in fine ne pas répondre du tout au besoin après analyse. Si le nom du projet reflète davantage le problème à résoudre et pas une solution, les remises en cause sont plus faciles à gérer. Alors, comment s’appelle le projet sur lequel vous travaillez ? Induit-il une solution ? Est-ce légitime et souhaitable ? Ayons le réflexe de remonter au besoin.

Deuxième difficulté : nous n’aimons pas quantifier notre besoin et encore moins de manière réaliste. Souvent nous aimons décrire un rêve, « on idéalise au départ ». Certaines captures de besoin ressemblent donc à des utopies. Tout le monde sait que ce n’est pas atteignable mais essaie de tendre vers cette cible. Cela peut être stimulant mais cela peut aussi devenir dangereux car au final, le vrai niveau d’attente sur le projet n’est pas explicité. Personne ne sait vraiment à partir de quel niveau nous pouvons considérer que le projet est un succès. Sur les projets complexes impliquant de nombreux acteurs, ce manque d’explicitation des « vrais » critères de satisfaction des besoins peut être risqué. Dans le cas d’un projet innovant dans l’énergie, il s’agissait de réussir à « bien » caractériser le niveau d’énergie produite, autrement dit le mieux possible. Après enquête, une équipe faisait l’hypothèse qu’une erreur à 10% près était acceptable, quand une autre investissait dans des capteurs précis pour viser une précision globale bien plus grande. Il y a donc un vrai enjeu, sur les projets complexes à expliciter les véritables critères de satisfaction des besoins. Cela n’empêche pas de se fixer des objectifs ambitieux mais il convient de donner à tous une vision commune de ce qui semble réaliste, quitte à amender régulièrement le critère.

Reste la difficulté à trouver la bonne dynamique pour expliciter le besoin. « On est déjà en phase de conception détaillée, trop tard pour questionner le besoin ». « On doit sortir un chiffrage dans trois jours, pas le temps de poser le problème, on part sur cette solution ». « On a validé ce besoin il y a 2 ans, on ne peut pas le remettre en cause » … Cette capture des besoins cristallise beaucoup d’inquiétude sur le fait de la faire au bon moment. Ainsi pour dédramatiser, rappelons que peu de projet démarrent par une capture des besoins sans n’avoir absolument jamais évoqué de solution. Aussi, le référentiel des besoins a vocation à servir de boussole à un projet. Certains évènements conduisent à mettre à jour la boussole. Il s’agit donc de donner des repères à tous les acteurs d’un projet et de s’autoriser à faire vivre ces points de repères de manière itérative.

Projet complexe bien posé est à moitié résolu !

Ainsi vous l’aurez compris, dans un projet complexe, le problème à résoudre doit être clair et partagé par tous les acteurs. S’il ne l’est pas encore (parce qu’on ne s’est jamais posé la question du pourquoi), s’il n’est plus clair (parce qu’il y a eu des changements), s’il n’est pas partagé (parce que les avis divergent sur les objectifs), s’il est de manière évidente insoluble, il y a un réel intérêt à y remédier, à tout moment du projet.

Claire Dellatolas

Remerciements

Un grand merci aux professionnels qui ont apporté leur expérience et leur point de vue ainsi que leur temps précieux : l’équipe de Colab Studio (Antoine Daval, Jean Benhedi et Chloé Gaspari), Julien Harache, Florent Villard, Nicolas Riebel.


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